Contributeurs: Laurie.herviou, Vincent Bonhomme

 français   Dernière modification le: 09/02/16 - Crée le: 18/12/15

Notre organisme est composé de cellules. Celles-ci sont composées de plusieurs compartiment : un noyau, un cytoplasme ainsi que de différentes organites. L'ADN se situe dans le noyau et s’enroule autour d’un groupe de protéines appelées histones. Cet enroulement permet une compaction plus ou moins importante de l’ADN, et donc l’expression ou non des gènes. Le degré de compaction de l’ADN est régulé par des groupements chimiques situés sur les histones (acétylation, méthylation, ubiquitinylation, etc.) ou l’ADN (méthylation, hydroxyméthylation). Ces mécanismes épigénétiques caractérisent l’identité de nos cellules. Nos cellules de foie et nos neurones présentent la même information génétique, mais un paysage épigénétique différent. Les marques épigénétiques sont héréditaires, mais peuvent être modulées par l’environnement.

Abordons quelques exemples afin d’illustrer l’importance de l’épigénétique dans le monde du vivant.

Les couleurs du féminin

Les effets de l’épigénétique sont visibles chez les femelles chats de type « écaille de tortue » [1] . La distinction entre mâle et femelle se trouve notamment dans leurs chromosomes. Les individus mâle possède un chromosome Y et un chromosome X, alors que les individus femelles présentent deux chromosomes X. Afin d’équilibrer la dose génétique entre les deux sexes, les femelles éteignent de manière aléatoire, via des mécanismes épigénétiques, un de leur chromosome X tôt dans leur développement. Le gène déterminant la couleur de la fourrure (orange) se localise sur le chromosome X. Ainsi, c'est l'inhibition aléatoire de ce gène dans telle ou telle cellule qui va permettre de créer ce pathwork de couleur chez cette race de chat.

Bonne pioche

La monarchie chez les abeilles n’est pas qu’une question d’hérédité. Reine ou ouvrière ? Il y a une part d’épigénétique dans l’histoire. L’ADN du cerveau des différentes castes n’est pas compacté de la même manière. Il y a en effet des différences de méthylation au niveau de certains gènes [2] . Aussi, il a été montré qu’un élément de la gelée royale dont se nourrissent les larves future-reine contient un inhibiteur d’enzymes permettant la compaction de l’ADN, des histones acétyltransferases [3] . L’épigénétique joue donc un rôle primordial dans le développement de la ruche.

Les mères hollandaises

L’hiver 1944-1945 marque la période d’une grande famine aux Pays-Bas. De nombreuses victimes ont succombé à cette restriction de nourriture ; l’autre partie de la population a pu survivre grâce à des rations déplorables d’aliments.

Une étude épidémiologique [4] sur cette population s’est concentrée sur l’effet du manque d’apport nutritionnel des femmes enceintes de cette période sur leur progéniture. Les conclusions qui en ont découlé sont pour le moins inattendues et surprenantes.

Les nourrissons nés de mères mal nourries quelques mois avant la conception avaient plus de risque d’être petit que les autres. Ces individus, bien qu’ayant accès a toute la nourriture nécessaire au cours de leur vie, était restés petit et avait moins de risque que la population générale d’être obèse. À l’inverse, les nourrissons nés de mères ayant manqué d’apport nutritionnel tôt dans la grossesse avaient un taux d’obésité supérieur à la normale. D’autres problèmes de santé ainsi que certains désordres mentaux ont également été corrélé avec cette situation. En fonction du trimestre de grossesse, l’apport alimentaire de la mère peut avoir des effets significativement différents ; ceci mettant en évidence l’importance de l’alimentation des femmes pendant leur grossesse non seulement sur le développement du fœtus, mais également sur l’état de santé des enfants plusieurs années après la naissance. Ce qui est particulièrement intéressant et surprenant est que certains de ces effets ont été retrouvés chez les petits enfants des femmes ayant vécu la famine pendant le premier trimestre de la grossesse.


Outre les modifications chimiques apposées sur la chromatine, l’épigénétique peut être décrite comme tous les paramètres héréditaires ou influencés par l’environnement, que l’on ne peut expliquer par notre génome. Ces quelques exemples mettent en évidence l’importance qu’a l’environnement et l’hérédité dans la régulation de nos gènes, et de ce fait sur l’apparition de pathologie métabolique ou encore de cancers. De nombreuses études se focalise par ailleurs sur l’intérêt des épi-drogues – composés permettant de moduler la régulation épigénétique des gènes – dans le traitement de certaines pathologies, notamment le cancer.

L’étude de l’hérédité remonte au XIX siècle, avec Darwin et son évolution, Mendel, ses petit pois, la génétique. L’étude moléculaire de notre ADN s’est faite au siècle suivant, mettant notamment Watson et Crick. De nombreux chercheurs ont permis de mettre en relation la génétique et l’évolution. L’ère de l’épigénétique arrive maintenant et défit toutes les connaissances mises en place jusqu’à présent. Comme pour notre génome, sans pour autant les modifier, elle les rend plus complexes et plus surprenantes.

L’épigénétique nous ouvre les yeux sur l’importance de notre interaction avec l’environnement ainsi que du passé, nous dévoile des mystères longtemps inexpliqués, et ouvre les portes sur d’autres interrogations encore plus intrigantes.

Pour aller plus loin

  1. Grahn RA, Localizing the X-linked orange colour phenotype using feline resource families. Anim Genet. 2005 Feb;36(1):67-70.
  2. Lyko F, The honey bee epigenomes: differential methylation of brain DNA in queens and workers. PLoS Biol. 2010 Nov 2;8(11):e1000506. doi: 10.1371/journal.pbio.1000506.
  3. PLoS Biol. 2010 Nov 2;8(11):e1000506. doi: 10.1371/journal.pbio.1000506. Lyko F., The honey bee epigenomes: differential methylation of brain DNA in queens and workers. PLoS Biol. 2010 Nov 2;8(11):e1000506. doi: 10.1371/journal.pbio.1000506.
  4. Lumey LH, Cohort profile: the Dutch Hunger Winter families study. Int J Epidemiol. 2007 Dec;36(6):1196-204. Epub 2007 Jun 25.